Au balcon

On est au balcon, nous deux. Proches. Les mouvements sont fluides, de temps en temps on se tient dans les bras. L’air est humide, on sent la pluie, les arbres mouillés. Selon moi, ceci fait partie de la définition du sud. Selon lui, cela n’est pas du tout le sud. C’est un conflit ouvert depuis longtemps. À l’intérieur on entend du rock. J’apprécie l’ambiance. Je corrige, je veux l’apprécier. Cette volonté fait que je rigole exhaustivement quand on fait des blagues, peut-être même suraiguë. J’ai la chair de poule, même s’il y a pas grand-chose qui me bouscule. Je suis loin.

Toujours au balcon. Je lui raconte mon hypothèse. Je pense que chacun a un ton propre en lisant. Un ton qui suscite une certaine ambiance, des émotions, et qui s’applique naturellement quand on commence à lire quelque chose indépendamment du contenu. Par exemple, moi, quand je lis à haute voix, mon ton est mélancolique, langoureux, un peu mou. Je me souviens que ma mère me lisait de la même manière. Je crois que c’est le ton de mon enfance, le ton de ma mère dans mes oreilles, dans mon cerveau. Lui, mon « frère » au balcon, a un ton joyeux, qui rend les enfants curieux et fait fasciner. Un goût pour l’inconnu. Ses parents sont professeurs !

Bonjour tristesse

Ce qui m’attire, en partie, est ta tristesse. Elle s’est inscrite dans ton corps. Dans ton regard habituel. Tes sourcils qui tombent, tes yeux baissés. Dans ta voix vibrante. Tu sembles incroyablement triste. On est attendri quand on te voit. J’imagine ce qu’ont ressenti tes profs au lycée. De bonnes notes malgré le retard et le manque de participation, t’avais raconté. Voulaient-ils te protéger ? Te soulager ? Sans franchir la frontière de la discrétion qu’établit l’intimité de ta tristesse?

T’sais, à l’époque, j’avais ce petit ami qui était submergé par la tristesse. Je crois que j’étais attirée par cette douleur. Par l’incomplet dont je pouvais contribuer à le compléter. J’ai aimé lui apporter de l’aide. Je me suis sentie valorisée. Dans ce sens, je l’aimais. Sans savoir qui il était à part sa douleur. Trois ans après notre rupture, il me dira qu’on n’avait rien à se dire et qu’on le remarquait les deux de temps en temps. Que j’étais quasiment sa thérapeute, peut-être pour me fuir de moi-même. Il y a cette hypothèse que ce besoin de faire sortir les gens de leur tristesse vient de chez moi, de cette volonté puissante d’en faire sortir ma mère. J’en sais rien. Peut-être, cette attirance par la tristesse s’arrêtera jamais. Justement, j’apprends doucement que je vais pas la soigner. Que je te la laisse, ta tristesse.

Je rèèève

Fuite d’une famille. La maman et sa fille sont en voiture. Elles sont censées récupérer le mari et le fils. La maman fait de la vitesse, la route est sinueuse. Elle les dépasse. Même si ayant l’intention de retourner, d’abord elle ne stoppe pas. Quand elle essaie de tourner la voiture, la fille dit Maintenant c’est trop tard de toute façon. T’aurais dû t’arrêter directement. Elle la culpabilise de façon convaincue. La maman revient et prend les deux, fin heureuse.

Réseau d’amis. Nous sommes en voiture d’un ami du théâtre, c’est lui qui conduit, nous, c’est-à-dire un ami de sa part, Baptiste et moi sont en arrière. Baptiste et l’ami conducteur ne se connaissent pas encore. En conduisant l’ami conducteur prend une bouteille de vin blanc, donne un verre à Baptiste et lui sert. Puis, il se sert lui-même. Baptiste approche son verre timidement. L’ami conducteur est impatient. Il fait un geste vite et décis. Puis il vide son verre à côté de ses pieds. Il me semble qu’il fait exprès.

En s’enlaçant

Pièce de théâtre. Le spectacle se déroule. Le sol est rose, un homme joue une femme, ses fesses sont nues. Tout à coup, je me trouve derrière la scène. Je t’aperçois au loin, mais je fais mine de ne pas te voir. Puis on se retrouve en face l’un de l’autre. (Je me souviens plus ce que tu dis pour me saluer, mais je sais que tu as dit quelque chose). Tu ouvres ton blouson comme si c’était une couverture et tu m’indiques de me rapprocher en dessous de ce blouson. Je t’embrasse doucement, protégée par ta couverture. Ma tête plongée sur ta poitrine. On bouge doucement, en s’enlaçant. Je me sens à l’aise.

Retracer mon désir

À l’école primaire je n’ai que des copains. Je joue au foot avec eux, au ping-pong, aux dragons. On se traite de façon cool. On se salue sans se regarder, voix grave, petit geste de main. Je suis la seule fille à leurs anniversaires. J’suis plutôt garçon. J’aime être garçon avec eux. M’habiller comme eux, le pantalon en dessous de mes fesses, courir, montrer les muscles de mes bras, ressentir la force de mon corps. Imitais-je les ?

Au lycée, la chorale met en scène Linie 1, une comédie musicale. La chorale manque de garçons, donc plusieurs filles jouent des figures masculines, des dealers, des machos. Un dealer me plaît particulièrement, sa voix tendre et grave. Les prochains jours, je la cherche dans la cour de récréation. Je fais un rêve sur une quête vers elle. Je la trouve pas. Elle s’était bien déguisée.

J’entre dans la chorale. Je cherche le contact des filles mûres. En chantant, je regarde celle qui avait joué la protagoniste de la comédie musicale. Je m’oublie dans mon regard et j’oublie qu’on est en train de chanter. Bouche ouverte, des yeux l’admirant. Elle sourit.

Je grimpe sur le mur qui sépare notre jardin de celui des voisins. La petite fille des voisins me voit et s’exclame : pourquoi tu portes toujours des vêtements de garçon ? Une voix de princesse, un peu suraiguë, confiante. Sa mère lui dit de se taire.

En cours de français on joue Huis Clos, une pièce de théâtre de Sartre. Ça consiste en trois personnages, une lesbienne, une jeune femme, un homme, nous, on est sept, faut tirer au sort, mon souhait est de jouer la lesbienne. C’est avec cette figure que je m’identifie le plus. Pas avec sa sexualité, c’est un tabou léger, ça, on en parle pas – mais avec la façon dont j’imagine qu’elle bouge, qu’elle s’assoit, qu’elle parle à l’autre femme. Sa voix mûre, séduisante, rauque.

En embrassant des garçons, je ne ressens pas de désir, de tension, de fourmillement qui coule au travers de mon corps. Parfois en couchant avec des garçons, je tourne ma tête au moment où ils veulent m’embrasser. Je dors avec des clients et j’embrasse ceux que j’aime, dit Vivian Ward dans Pretty Women. Quand je dors avec des garçons, c’est pour satisfaire mes besoins. Ce n’est pas romantique, même peu érotique. C’est une chose fonctionnelle. Que l’amour, l’orgasme peut aller au-delà de ça, me reste inconnu pour plusieurs années.

Fuite avec mes parents, on est ensemble

Mon père, ma mère et moi, on est dans l’avion. On pourrait fuir d’ici, je réfléchis, par des parachutes. Mais si on les met maintenant, pour se préparer, les hôtesses de l’air nous soupçonneront. À un moment tout va vite. On défonce les portes et avec les parachutes sur le dos, on se jette dans l’air. On cherche comment les ouvrir, mais on n’y arrive pas. On tombe, vite, sur plusieurs kilomètres. Puis on heurte la terre sèche. On survit. Nos os vont bien. On se redresse vite et on court, puisqu’on est en fuite. Je le comprends maintenant, car l’avion semble en panne. Il perd la trajectoire, tourne autour du pot au-dessus de nos têtes. Quelques secondes après il crash et s’enflamme. Une boule de feu massive. Je sais que ça devait se passer comme ça. Je ressens qu’on a atteint notre but. Puis on fuit. Il y a une voiture chère qui nous attend. Pour des minutes, on est en route. C’est une route de campagne. On craint que c’est pas la bonne. Des voitures de police sont déjà derrière nous. J’ai peur. On arrive à une auberge située sur une montagne. Une maison en bois avec une véranda. Une vue magique sur une forêt de conifères, des lacs, des chemins de schiste. Le paysage est magnifique.

On réfléchit quoi faire. Les voitures de police arrivent au loin. Mon père est résolu. Il semble avoir la main sur la situation. Il décide qu’on reste à l’auberge en prétendant être des vacanciers. Il explique : c’est comme ça que j’ai fait à l’époque pour cacher l’argent. Je l’ai enterré, en dessous de la maison. Je remarque qu’il y a du sang sur ma chemise. Un instant de panique. Je l’enlève vite. L’instant d’après les policiers nous interrogent. Moi, je prétends être un petit garçon. Une policière sympa s’occupe de moi. Je réponds sagement aux questions. Parfois je demande l’aide de mon père pour harmoniser nos réponses. Or, je dispose toujours de mon cerveau de 22 ans. Parfois je dis des choses qui ne correspondent pas à mon âge prétendu de 6 ans petit garçon. La policière remarque que le paysage a l’air comme l’au-delà. Tout à fait, je dis, en me rendant compte que je devais pas la comprendre. J’ajoute vite, c’est ce que mon père a raconté aussi. Apparemment tout va bien. On est pas soupçonné.

Rêve d’intrusion

Avec une amie je suis chez toi (c’est la première fois que je vois ta maison). On s’occupe du jardin, on s’installe, moi, je réfléchis de m’installer dans la cabane de jardin. Je veux y jeter un œil. Ta copine est là (aussi la première fois que je la vois). Elle me donne un bisou avant de partir. Quand tu rentres, nos retrouvailles sont tendues. Je me sens intrusive, envahissante, mais je l’ignore. La question est posée à mon amie ce qu’on mange au dîner. (Je suis pas présente et elle me l’a pas racontée). Je perçois cela comme une question-test, on veut tester notre réaction. Il faut aller chercher quelque chose à manger à l’extérieur, je pense. Une scène plus tard. Mes grands-parents vivent dans cette maison. Il y a une pile de fringues au sol. Tardivement, je reconnais que c’est mon grand-père. Fragile, presque comme un squelette. Il est déshydraté. On l’aide à sortir au soleil. J’ai peur qu’il tombe. Je peux pas l’accompagner.

Autre rêve il y a longtemps. Je suis à ton appartement, mais tu as déménagé. Il y a encore des meubles et un tas de personnes qui effectuent le déménagement. Un gâteau au fromage, dont la moitié est mangé, se trouve sur une table. Il semble délaissé. Je jette un coup d’œil dans l’appart. J’atteins une chambre où une partie du sol est un peu élevée, comme une scène. Il y a des petits ballons colorés partout. Un paradis de jeux pour les enfants. Mon souhait est de savoir où tu es.

Au dernier pas

Collés l’un à l’autre, au même rythme

Balançant nos anches

Ma tête plongée sur ta poitrine

Lèvres touchant ton visage

Pour nous, si douce et proche

La chanson vient juste de commencer

Enlacés, se perdant l’un en l’autre

Ton épaule entre mes mains

Je glisse le long de ta colonne

Dans l’obscurité, dansant aveuglément

Sur le dernier pas

Je me défais

Takt

Dicht an dicht, tanzen im Takt

Schaukeln über Oberschenkel

Mein Kopf an deine Brust gelehnt

Lippen an deinem Gesicht

Für uns, so zart und nah

Und das Lied fängt grad erst an

Wir verliern uns ineinander

Hab Schulterblätter in der Hand

Streich entlang der Wirbelsäule

Dunkelheit, sind blind vor Takt

Nur den Letzten

Geh ich nicht mit

J’ai fait cauchemar

Je dis : « je me sens complètement surmenée.
Il me faut du temps. »
Il ne change pas d’expression.
Nous sommes en prison. Il est musclé, gros, et il a commis un certain crime. Nous sommes dans les toilettes masculines. Des excréments collent aux murs, pissoirs, au sol.
Évidemment, il ne parle pas ma langue. Ainsi, je ne peux pas mobiliser la sienne. Quand même, je lui dis ce qu’il me faut. C’est de l’intuition. 
Je sens que cela ne sert à rien. Il me manque la force pour lui parler différemment. Le courage.
Je le sens bander sur l’aine.
J’ai une boule à la gorge. Je ressens peu de peur.
Je crois, j’ai déjà abandonné.
Je sais ce qui se passera maintenant.
Puis je me réveille.

Tracer l’amour

Mon père m’enseigne les chiffres et les mois en français. On fait le même exercice à l’école, première année de cours de français. Les autres sont en difficulté d’énumérer, moi, jsuis exemplaire. Ça me plaît. Ils découvrent que je l’avais pratiquée avant. Des bruits de soulagement, d’injustice, d’évidence. Mes nouveaux apprentissages me plaisent toujours. Ma nouvelle langue.

Je lève la main. Ma prof de français m’appelle. Son appel sous-entend que jsuis bienvenue, bien écoutée. Que ça va être bien ce que ma tête construira, ce que ma bouche, ma langue, mes lèvres produiront. Elle prononce mon nom d’un tel charme que je me sens sourire. Rougir même.

On est peu, on est bien, on est aimé. On débat beaucoup. Là, justement. J’ai quelque chose sur le bout de la langue. La prof le voit, cette pensée en moi. Elle me fait un signe de tête me donnant la parole. Je suis touchée.

Des heures, des jours, des mois je bredouille en français, je baigne dans la langue. Je fais bouger ma bouche. Je fais sortir des sons nasaux, des euhh, toujours sur la deuxième syllabe. C’est la deuxième. Le bout. Le charme. Je rêve dans cette langue. J’idéalise. Tout est beau en français. Beaucoup plus beau qu’en allemand. Mille fois plus beau. J’écris à quelqu’un : « En français tout est plus vrai. Plus juste. ». J’en suis convaincue.

On reçoit les notes du bac. Quelques élèves pleurent. Ils doivent passer en rattrapage. Des larmes de fureur. La prof de français les voit. Elle-même commence à pleurer. Elle ne peut pas les réprimer, ses larmes. Qui sont les nôtres. Cette empathie m’accompagne tout au long des années. Je la vois, cette chaleur, ces bras. Il y a des situations qui le permettent. Je les cherche. Je les désire. Je pleure en quittant l’école. Pas pour mes amis, pas pour cet endroit. Quelque chose se brise.

J’ai un ptit-copain. Il est semi-français. Quelle surprise. On a qu’une semaine avant que je parte pour mes études. On passe chaque jour ensemble, on se promène, on s’embrasse. En se promenant dans la forêt, dans le vieux centre du village, on se dit des mots d’amour. De charme. De folie. Je l’écoute. J’adore l’écouter. On passe devant une boutique de bijoux. Il fait un grand geste en étendant son bras. « Ma chère Pauline, qu’est-ce que je peux t’offrir ? ». Il est dimanche. La boutique est fermée. Et tous les bijoux m’appartiennent.