Première

J’ai fait un rêve de toi pour la première fois. Je t’appelle à propos d’une rencontre qui s’est déjà déroulée. (Chronologie temporelle cassée). Je te demande si tu trouves le chemin vers notre lieu de rencontre. C’est un terrain de jeux dans mon village natal. Tu m’expliques où tu es. Puis on parle d’autres chose. Tu me dis que c’est beau de me parler au téléphone. Qu’on pourrait se rappeler quand tu seras à Bonn. Mon cœur bat. Je me sens dépassée par ce que je ressens. Ma tête veut te répondre quelque chose, détachée de sentiments. Je le remarque. Je m’ouvre. Fragilement, je dis que tes mots me touchent.

Deuxième scène. On est l’une face à l’autre dans une salle de classe. Tu dis que tu dois aller travailler dans un jardin d’enfants, mais que souvent t’as rien à faire. Tu laisses sous-entendre qu’on pourrait se voir durant tes pauses. Je me souviens du désir en moi, de mes attentes sur la façon dont cette relation pourrait se développer. Et de la peur d’être blessée. Je me sens un peu déchirée. Puis, une fille de l’équipe de foot rentre et me demande si je participe au prochain tournoi. J’acquiesce, jsuis chaude. Toi, tu parles de foot avec enthousiasme, comme si tu pouvais t’imaginer y participer aussi. Des amis allemands nous rejoignent. On parle des souvenirs, d’un séjour scolaire en Toscane. On fait des blagues, toi et moi, on rigole. L’ambiance est légère.

Fuite en avant

« La vie est un rêve dans un rêve », dit un vieil homme dans le film Vortex. Moi, je ne fais plus de rêve ces derniers temps. Mes nuits sont fatigantes, courtes, forcées. En fin de nuit je me sens pas reposée. Depuis plus d’un mois je me couche en moyenne vers trois heures du mat. Je fais l’expérience d’une autre vie. De la vie de nuit, d’un excès de soirées, d’adrénaline, d’extase, de basse. Parfois d’ivresse, mais rarement. On m’a recommandé de sortir, d’apprécier la vie, puisqu’apparemment je serais un soleil, puisque j’aimerais la vie. J’ai fait ainsi. J’ai rencontré plus d’amis que jamais. Je pouvais pas être seule. Trop de pensées, débordement de sentiments. Recroquevillée sur moi-même, j’essayais d’éviter cette fragilité. J’ai fui en avant, hors de mon corps, hors de mes pensées. J’ai dansé comme une folle. J’ai fermé mes yeux. J’ai sué. Jsuis tombée malade. Je me suis fait draguée. J’ai apprécié.

Je voulais être proche de toi en t’imitant. En imitant tes excès d’alcool, de drogues, ta vie de nuit. Maintenant j’ai un avant-goût de ce que cela veut dire, faire quelque chose pour se sentir proche de quelqu’un. Je t’ai recherché en ville. J’étais nerveuse, mes yeux observant mon propre corps, mes vêtements, la façon dont je bouge et marche, imaginant l’instant que tu pourrais m’apercevoir. En passant par ta fenêtre j’étais distraite, plus attentive à ce que mes amis racontaient, ou bien nerveuse, ou triste. J’ai choisi des cafés, des restaurants, des cinémas, des bars proches de chez toi. Espérant qu’on puisse tomber l’un sur l’autre. J’ai imaginé comment ça serait de te revoir par hasard. Je ne pouvais pas m’imaginer. Un instant je me suis vue souriante, te montrant de la légèreté et du bonheur. Un autre instant je me suis vue pleurant devant toi. Et puis restant forte, décidée, sachant que tout échange au-delà des mots nécessaires me serait trop douloureux. Consciente de mes limites. Les mots nécessaires ont évolué depuis notre dernière rencontre. Ceux qui sont restés, que je t’ai envoyé, sont une version essentialisée de tous mes sentiments et pensées, une version juste, sans drame.

Maintenant je pense à toutes ces nuits dont j’ai peu de souvenirs. Non parce que j’avais un blackout, mais parce que l’intensité était éphémère, peu durable. Je me souviens peu des sentiments ressentis. Le temps me paraît évidé. Je suis crevée, épuisée des gens. Tu me manques.

 

Supplément:

Je m’interroge sur ce qui me manque exactement quand je dis que tu me manques. Je me demande ce que tu m’as donné. J’ai pas de réponse à cette question. Certes, une attention délicate, une curiosité, un intérêt, de la profondeur. Mais c’est pas ca qui me manque. Enfin, on a passé peu de temps ensemble. C’est juste toi. Et peut-être ce que je me suis imaginée, être avec toi, passer du temps avec toi. Écrire ces phrases me soulage un peu, me fait respirer. 

Déjà perdu

Avec deux amies on veut aller au cinéma. Premièrement, on est à deux, puis on cherche mon crush que j’abandonne bientôt puisque j’ai d’autres choses à faire. C’est mon auteur préféré travaillant dans un stand fastfood qui attire mon attention. Il dit qu’il veut changer de vie. Il y a un pigeon dans son stand qu’on essaie de libérer. Tout cela fait qu’on arrive avec beaucoup de retard au cinéma. Les deux filles sont déjà installées, le film est presque terminé. Une des deux demande si j’ai commandé une carte gay. Avec une carte gay le prix serait moins cher. Je me sens attaquée. Je réponds non à sa question. Je sais pas quoi dire de plus pour exprimer mes sentiments. Je ressens de la honte.

Puis, elle quitte le rang pour que mon crush et moi, on soit seul. Doucement, elle s’appuie contre moi. Puis, elle s’arrête. Elle semble déçue et surtout indifférente. Je pense que c’est à cause de mon retard. Qu’elle s’est souvenue de vouloir me montrer sa vraie réaction, et non son désir. Je me réveille. Je réfléchis que dire, comment me comporter, comment regagner sa confiance. Tout avec le seul but de l’embrasser. J’essaie de me refaire le rêve. Mais je ressens que c’est perdu, qu’on se retrouvera pas.

Quel rapport ?

Je suis dans la chambre de mon grand-père. C’est pas la chambre où il dormait quand il était malade, c’est son ancienne chambre, où il dormait quand tout allait bien. Je suis étonnée qu’il soit là. Quelque chose (je sais plus quoi) le fait rire. Comme s’il n’avait jamais arrêté de rigoler. Je touche ses joues qui se voûtent. Je tiens ses mains ridées.

Puis, ma grand-mère, ma tante et moi, on se prépare pour aller au cimetière. Les deux WC sont occupés. Je suis contrainte de faire du pipi dans une bouteille. Ma tante apparait. De honte, je couvre mon sexe. Je lui explique la situation et demande qu’elle s’en aille. Elle bouge très lentement. Étant arrivée au salon, elle peut toujours me voir. Puisque la porte du salon est transparente. Scène d’humiliation.

Au balcon

On est au balcon, nous deux. Proches. Les mouvements sont fluides, de temps en temps on se tient dans les bras. L’air est humide, on sent la pluie, les arbres mouillés. Selon moi, ceci fait partie de la définition du sud. Selon lui, cela n’est pas du tout le sud. C’est un conflit ouvert depuis longtemps. À l’intérieur on entend du rock. J’apprécie l’ambiance. Je corrige, je veux l’apprécier. Cette volonté fait que je rigole exhaustivement quand on fait des blagues, peut-être même suraiguë. J’ai la chair de poule, même s’il y a pas grand-chose qui me bouscule. Je suis loin.

Toujours au balcon. Je lui raconte mon hypothèse. Je pense que chacun a un ton propre en lisant. Un ton qui suscite une certaine ambiance, des émotions, et qui s’applique naturellement quand on commence à lire quelque chose indépendamment du contenu. Par exemple, moi, quand je lis à haute voix, mon ton est mélancolique, langoureux, un peu mou. Je me souviens que ma mère me lisait de la même manière. Je crois que c’est le ton de mon enfance, le ton de ma mère dans mes oreilles, dans mon cerveau. Lui, mon « frère » au balcon, a un ton joyeux, qui rend les enfants curieux et fait fasciner. Un goût pour l’inconnu. Ses parents sont professeurs !

Bonjour tristesse

Ce qui m’attire, en partie, est ta tristesse. Elle s’est inscrite dans ton corps. Dans ton regard habituel. Tes sourcils qui tombent, tes yeux baissés. Dans ta voix vibrante. Tu sembles incroyablement triste. On est attendri quand on te voit. J’imagine ce qu’ont ressenti tes profs au lycée. De bonnes notes malgré le retard et le manque de participation, t’avais raconté. Voulaient-ils te protéger ? Te soulager ? Sans franchir la frontière de la discrétion qu’établit l’intimité de ta tristesse?

T’sais, à l’époque, j’avais ce petit ami qui était submergé par la tristesse. Je crois que j’étais attirée par cette douleur. Par l’incomplet dont je pouvais contribuer à le compléter. J’ai aimé lui apporter de l’aide. Je me suis sentie valorisée. Dans ce sens, je l’aimais. Sans savoir qui il était à part sa douleur. Trois ans après notre rupture, il me dira qu’on n’avait rien à se dire et qu’on le remarquait les deux de temps en temps. Que j’étais quasiment sa thérapeute, peut-être pour me fuir de moi-même. Il y a cette hypothèse que ce besoin de faire sortir les gens de leur tristesse vient de chez moi, de cette volonté puissante d’en faire sortir ma mère. J’en sais rien. Peut-être, cette attirance par la tristesse s’arrêtera jamais. Justement, j’apprends doucement que je vais pas la soigner. Que je te la laisse, ta tristesse.

Je rèèève

Fuite d’une famille. La maman et sa fille sont en voiture. Elles sont censées récupérer le mari et le fils. La maman fait de la vitesse, la route est sinueuse. Elle les dépasse. Même si ayant l’intention de retourner, d’abord elle ne stoppe pas. Quand elle essaie de tourner la voiture, la fille dit Maintenant c’est trop tard de toute façon. T’aurais dû t’arrêter directement. Elle la culpabilise de façon convaincue. La maman revient et prend les deux, fin heureuse.

Réseau d’amis. Nous sommes en voiture d’un ami du théâtre, c’est lui qui conduit, nous, c’est-à-dire un ami de sa part, Baptiste et moi sont en arrière. Baptiste et l’ami conducteur ne se connaissent pas encore. En conduisant l’ami conducteur prend une bouteille de vin blanc, donne un verre à Baptiste et lui sert. Puis, il se sert lui-même. Baptiste approche son verre timidement. L’ami conducteur est impatient. Il fait un geste vite et décis. Puis il vide son verre à côté de ses pieds. Il me semble qu’il fait exprès.

En s’enlaçant

Pièce de théâtre. Le spectacle se déroule. Le sol est rose, un homme joue une femme, ses fesses sont nues. Tout à coup, je me trouve derrière la scène. Je t’aperçois au loin, mais je fais mine de ne pas te voir. Puis on se retrouve en face l’un de l’autre. (Je me souviens plus ce que tu dis pour me saluer, mais je sais que tu as dit quelque chose). Tu ouvres ton blouson comme si c’était une couverture et tu m’indiques de me rapprocher en dessous de ce blouson. Je t’embrasse doucement, protégée par ta couverture. Ma tête plongée sur ta poitrine. On bouge doucement, en s’enlaçant. Je me sens à l’aise.

Retracer mon désir

À l’école primaire je n’ai que des copains. Je joue au foot avec eux, au ping-pong, aux dragons. On se traite de façon cool. On se salue sans se regarder, voix grave, petit geste de main. Je suis la seule fille à leurs anniversaires. J’suis plutôt garçon. J’aime être garçon avec eux. M’habiller comme eux, le pantalon en dessous de mes fesses, courir, montrer les muscles de mes bras, ressentir la force de mon corps. Imitais-je les ?

Au lycée, la chorale met en scène Linie 1, une comédie musicale. La chorale manque de garçons, donc plusieurs filles jouent des figures masculines, des dealers, des machos. Un dealer me plaît particulièrement, sa voix tendre et grave. Les prochains jours, je la cherche dans la cour de récréation. Je fais un rêve sur une quête vers elle. Je la trouve pas. Elle s’était bien déguisée.

J’entre dans la chorale. Je cherche le contact des filles mûres. En chantant, je regarde celle qui avait joué la protagoniste de la comédie musicale. Je m’oublie dans mon regard et j’oublie qu’on est en train de chanter. Bouche ouverte, des yeux l’admirant. Elle sourit.

Je grimpe sur le mur qui sépare notre jardin de celui des voisins. La petite fille des voisins me voit et s’exclame : pourquoi tu portes toujours des vêtements de garçon ? Une voix de princesse, un peu suraiguë, confiante. Sa mère lui dit de se taire.

En cours de français on joue Huis Clos, une pièce de théâtre de Sartre. Ça consiste en trois personnages, une lesbienne, une jeune femme, un homme, nous, on est sept, faut tirer au sort, mon souhait est de jouer la lesbienne. C’est avec cette figure que je m’identifie le plus. Pas avec sa sexualité, c’est un tabou léger, ça, on en parle pas – mais avec la façon dont j’imagine qu’elle bouge, qu’elle s’assoit, qu’elle parle à l’autre femme. Sa voix mûre, séduisante, rauque.

En embrassant des garçons, je ne ressens pas de désir, de tension, de fourmillement qui coule au travers de mon corps. Parfois en couchant avec des garçons, je tourne ma tête au moment où ils veulent m’embrasser. Je dors avec des clients et j’embrasse ceux que j’aime, dit Vivian Ward dans Pretty Women. Quand je dors avec des garçons, c’est pour satisfaire mes besoins. Ce n’est pas romantique, même peu érotique. C’est une chose fonctionnelle. Que l’amour, l’orgasme peut aller au-delà de ça, me reste inconnu pour plusieurs années.

Fuite avec mes parents, on est ensemble

Mon père, ma mère et moi, on est dans l’avion. On pourrait fuir d’ici, je réfléchis, par des parachutes. Mais si on les met maintenant, pour se préparer, les hôtesses de l’air nous soupçonneront. À un moment tout va vite. On défonce les portes et avec les parachutes sur le dos, on se jette dans l’air. On cherche comment les ouvrir, mais on n’y arrive pas. On tombe, vite, sur plusieurs kilomètres. Puis on heurte la terre sèche. On survit. Nos os vont bien. On se redresse vite et on court, puisqu’on est en fuite. Je le comprends maintenant, car l’avion semble en panne. Il perd la trajectoire, tourne autour du pot au-dessus de nos têtes. Quelques secondes après il crash et s’enflamme. Une boule de feu massive. Je sais que ça devait se passer comme ça. Je ressens qu’on a atteint notre but. Puis on fuit. Il y a une voiture chère qui nous attend. Pour des minutes, on est en route. C’est une route de campagne. On craint que c’est pas la bonne. Des voitures de police sont déjà derrière nous. J’ai peur. On arrive à une auberge située sur une montagne. Une maison en bois avec une véranda. Une vue magique sur une forêt de conifères, des lacs, des chemins de schiste. Le paysage est magnifique.

On réfléchit quoi faire. Les voitures de police arrivent au loin. Mon père est résolu. Il semble avoir la main sur la situation. Il décide qu’on reste à l’auberge en prétendant être des vacanciers. Il explique : c’est comme ça que j’ai fait à l’époque pour cacher l’argent. Je l’ai enterré, en dessous de la maison. Je remarque qu’il y a du sang sur ma chemise. Un instant de panique. Je l’enlève vite. L’instant d’après les policiers nous interrogent. Moi, je prétends être un petit garçon. Une policière sympa s’occupe de moi. Je réponds sagement aux questions. Parfois je demande l’aide de mon père pour harmoniser nos réponses. Or, je dispose toujours de mon cerveau de 22 ans. Parfois je dis des choses qui ne correspondent pas à mon âge prétendu de 6 ans petit garçon. La policière remarque que le paysage a l’air comme l’au-delà. Tout à fait, je dis, en me rendant compte que je devais pas la comprendre. J’ajoute vite, c’est ce que mon père a raconté aussi. Apparemment tout va bien. On est pas soupçonné.